Alerte rouge aux urgences: au moins 120 services en "difficultés" avant l'été
Accès filtrés et fermetures en cascade: la pénurie de soignants aux urgences vire à la "catastrophe", avec déjà 120 services contraints de limiter leur activité ou s'y préparant, prélude pour certains d'un été "atroce".
De mémoire d'urgentiste, "on n'a jamais connu une telle tension avant même la période estivale". Manque de médecins, d'infirmiers, d'aides-soignants ou de "lits d'aval" pour transférer les patients: au moins 120 hôpitaux font face à de graves "difficultés", selon une liste établie par l'association Samu-Urgences de France (SUdF) et que l'AFP s'est procurée.
Soit quasiment 20% des quelque 620 établissements - publics et privés - hébergeant un ou plusieurs services d'urgences. Aucun territoire n'est épargné, avec 60 départements touchés dans toutes les régions, d'après ce décompte qui n'inclut pas la Corse, les Antilles et la Guyane.
Signe supplémentaire d'une crise inédite, 14 des 32 plus gros hôpitaux français (CHU et CHR) figurent sur cette liste. Celui de Bordeaux vient ainsi d'instaurer un "accès régulé" chaque nuit entre 20H00 et 08H00. Sauf "urgence avérée", impossible de rentrer dans le premier service de Nouvelle-Aquitaine sans un coup de fil préalable au 15.
- "ça risque de s'aggraver" -
Celui de Grenoble, qui tourne déjà avec une équipe mobile du Smur en moins, pourrait suivre, le syndicat des médecins hospitaliers SNMH-FO y pointant un "risque de fermeture" la nuit "à très court terme" car "de nombreux médecins quittent le service".
A Chinon (Indre-et-Loire), l'activité des urgences est carrément suspendue depuis mercredi car la plupart des infirmières du service sont en arrêt maladie. La maternité n'est plus en mesure d'assurer les accouchements.
Le Pr Rémi Salomon, président de la conférence médicale des Hôpitaux de Paris (AP-HP), a prévenu jeudi sur franceinfo: "On a un risque imminent de rupture d'accès aux soins. C'est déjà en train de se produire et ça risque de s'aggraver de manière assez considérable pendant l'été, au moment des congés".
"Ca va être atroce, du jamais-vu", avec "des décès inopinés et involontaires" de patients, a même prédit Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), dans un entretien à Ouest-France mercredi.
Comme beaucoup d'hospitaliers, il réclame une revalorisation rapide des gardes et astreintes de nuit et de weekend. Mais la crise fait émerger d'autres propositions plus radicales.
"Il faut trier à l'arrivée aux urgences, il ne faut pas permettre à tout le monde d'y aller facilement", a ainsi affirmé Philippe Juvin, chef des urgences de l'hôpital parisien Georges-Pompidou, vendredi sur Public Sénat.
- gardes obligatoires -
Dans les Bouches-du-Rhône, où les urgences d'Arles ont évité de justesse une fermeture ce weekend, le responsable départemental du syndicat SUD-Santé, Kader Benayed va jusqu'à "solliciter l'armée en renfort", estimant qu'il faut "un électrochoc au niveau national".
Le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux, a pour sa part demandé mardi une "obligation de participation de tous les praticiens" aux gardes médicales, provoquant une levée de bouclier des libéraux qui ont dénoncé des propos "entre mensonges et dérapages".
Le patron de leur premier syndicat (CSMF), Franck Devulder, n'a pas écarté une obligation collective "à l'échelle des territoires", lors d'une conférence de presse jeudi. A condition toutefois d'un "coup de pouce" pour "rémunérer correctement" les gardes, qu'il a jugé "extrêmement urgent", s'étonnant "de l'attentisme du gouvernement sur un sujet aussi chaud, à seulement quelques semaines des vacances d'été".
En pleine campagne des législatives, les leaders de l'opposition se sont emparés du sujet pour accabler l'exécutif. "Où sont passés Emmanuel Macron et Elisabeth Borne? Des mesures d'urgence doivent être prises sans attendre!", a ainsi tweeté Marine Le Pen, tandis que Jean-Luc Mélenchon a écrit: "Bilan de Macron 1: 120 services d'urgence menacés de fermeture. Projet de Macron 2: les fermer tous?".
L.Diaz--RTC