L'égérie anti-guerre russe libérée, mais toujours menacée de prison
L'employée d'une chaîne de télévision russe qui a fait irruption pendant un journal télévisé pro-Kremlin pour dénoncer l'offensive en Ukraine a été libérée mardi avec une simple amende, après son arrestation qui a suscité une indignation internationale.
Marina Ovsiannikova risque néanmoins toujours des poursuites pénales passibles de lourdes peines de prison, aux termes d'une récente loi réprimant toute "fausse information" sur l'armée russe.
Cette femme de 43 ans s'est illustrée en faisant irruption en direct lundi soir pendant le journal télévisé le plus regardé de Russie, sur la chaîne Pervy Kanal, où elle est productrice, avec une pancarte critiquant l'opération militaire de Moscou en Ukraine et dénonçant la "propagande" des médias contrôlés par le pouvoir.
Les images de ce geste ont fait le tour du monde, nombre d'internautes saluant un acte d'un "courage extraordinaire", dans un contexte de répression de toute voix critique en Russie.
Mardi, un tribunal de Moscou l'a reconnue coupable d'avoir commis une "infraction administrative" et l'a condamnée à payer une amende de 30.000 roubles (environ 250 euros au taux actuel), selon une journaliste de l'AFP présente dans la salle.
- "Très difficile" -
Après l'audience, pendant laquelle elle a refusé de reconnaître sa culpabilité, Mme Ovsiannikova a dit vouloir "se reposer" après cette épreuve "très difficile".
"Il s'agit de jours très difficiles dans ma vie, j'ai passé près de deux jours sans sommeil, l'interrogatoire a duré 14 heures", a-t-elle dit dans une brève déclaration à la presse.
"Je n'ai pas eu le droit de parler avec mes proches, ni eu accès à une assistance juridique, et c'est pourquoi j'étais dans une position très difficile", a-t-elle ajouté. "Aujourd'hui, je dois me reposer".
De fait, le plus dur pourrait être encore à venir pour la nouvelle égérie des opposants russes à l'opération militaire de Moscou en Ukraine.
L'audience de mardi n'était en effet pas directement consacrée à l'action de Mme Ovsiannikova sur Pervy Kanal, mais à une vidéo diffusée parallèlement sur internet dans laquelle elle dénonce l'entrée des troupes russes en Ukraine.
Son avocat a dit à l'AFP redouter qu'elle soit jugée pour publication d'"informations mensongères" sur l'armée russe, un crime passible d'une peine maximale de 15 ans de prison.
La simple utilisation du mot "guerre" par des médias ou des particuliers pour décrire l'intervention russe en Ukraine est passible de poursuites, le Kremlin et ses médias utilisant le terme d'"opération militaire spéciale".
- Solidarité -
Signe que l'action de protestation de Mme Ovsiannikova a déplu au sommet du pouvoir, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a dénoncé mardi un acte de "hooliganisme".
Mais, à l'étranger, les témoignages de soutien se sont multipliés.
"Nous sommes solidaires de la journaliste russe Marina Ovsyannikova qui est une victime de la récente loi abusive sur les médias adoptée par la Russie", a déclaré mardi le secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (IFJ), Anthony Bellanger.
A Bruxelles, un porte-parole du chef de la diplomatie de l'UE Josep Borrell a salué son geste, estimant qu'elle avait "pris une position morale courageuse et osé s'opposer aux mensonges et à la propagande du Kremlin en direct sur une chaîne de télévision contrôlée par l'État".
L'acte de Mme Ovsiannikova est d'autant plus notable qu'il est de plus en plus difficile pour les Russes d'exprimer leur opposition.
Depuis le déclenchement de l'offensive en Ukraine le 24 février, quelque 15.000 manifestants ont été arrêtés à travers la Russie, selon l'ONG OVD-info.
Dans une vidéo enregistrée avant sa soudaine apparition devant les caméras, Mme Ovsiannikova explique son refus de voir la Russie et l'Ukraine comme des ennemis car son père est ukrainien et sa mère russe.
"Malheureusement, j'ai travaillé pour Pervy Kanal ces dernières années, faisant de la propagande pour le Kremlin", ajoute-t-elle. "J'en ai très honte aujourd'hui".
A.Taylor--RTC