Nucléaire: la réforme décriée de la sûreté proche de son adoption finale au Parlement
Poussée par l'exécutif, la réforme controversée de la sûreté nucléaire a franchi mardi le principal obstacle qui se dressait encore sur son chemin parlementaire, avec un vote favorable à l'Assemblée nationale, augurant d'une adoption définitive dans la soirée au Sénat.
La fusion du gendarme du nucléaire, l'ASN, avec l'expert technique du secteur, l'IRSN, a été validée par 340 voix contre 173, avec le soutien du camp présidentiel, de la droite et celui, cette fois, du Rassemblement national, qui s'y était opposé le mois dernier en première lecture.
Les députés se prononçaient sur un texte de compromis scellé entre des représentants de l'Assemblée et du Sénat pour cette réforme qui, selon ses détracteurs, risque de provoquer une "désorganisation" du système et jeter le doute sur l'indépendance des décisions de la future entité unique.
Si le feu vert final du Sénat, attendu dans la soirée, fait peu de doute, le vote à l’Assemblée semblait plus incertain, les députés n'ayant adopté le projet de loi qu'avec 260 voix contre 259 le mois dernier.
Mais le suspense était retombé d'un cran mardi avant même la séance, le Rassemblement national ayant annoncé son intention d'apporter cette fois son soutien. "Même si le texte reste imparfait", la réforme "permettra d'accélérer la construction de nouveaux réacteurs", a déclaré à l'AFP le député RN Nicolas Dragon.
- "Girouettes" -
Ce changement de pied a en tout cas affaibli le camp des opposants, composé des groupes de gauche, qu'ils soient pro ou antinucléaires, et des indépendants de Liot.
"C'est catastrophique ou très éclairant sur votre incompétence", a lancé au RN le député Liot Benjamin Saint-Huile, qualifiant ses membres de "girouettes".
En face, la réforme a été largement soutenue par la majorité présidentielle - malgré des voix dissidentes - avec l'appui, outre le RN, de la plupart des députés Les Républicains (LR, droite).
Ce texte prévoit la création en 2025 d'une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), issue du rapprochement de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui emploient respectivement environ 530 et 1.740 agents.
Le gouvernement estime que la fin d'un système dual permettra de "fluidifier" le secteur en réduisant les délais d'expertise et d'autorisation d'installations.
Il s'agit de "répondre dans les meilleures conditions aux défis de la relance de la filière nucléaire et de donner les moyens de faire face aux défis industriels et énergétiques sans précédent qui se présentent à nous", a fait valoir le ministre de l'Industrie Roland Lescure.
Les opposants alertent en revanche sur une possible perte d'indépendance des experts et de transparence. Le projet, auquel s'opposent nombre d'élus, d'ingénieurs et d'associations, a aussi provoqué l'ire des syndicats des deux entités.
Dans la rue pour une huitième fois mardi, les salariés de l'IRSN ont appelé les députés à s'y opposer. "Votez non!", ont scandé plusieurs centaines de manifestants à proximité de l'Assemblée. "IRSN démantelé, sûreté en danger ", "mariage forcé, accident assuré", lisait-on sur les panneaux dans le cortège.
Motif d'espoir pour les syndicats, l'article-clé de la réforme avait été rejeté en commission début mars à l'Assemblée avant d'être rétabli en séance. Un an plus tôt, c'est dans l'hémicycle qu'une coalition des oppositions avait fait barrage à la fusion en rejetant un amendement de l'exécutif à un précédent projet de loi, consacré à la relance du nucléaire.
- "Lait sur le feu" -
Le débat parlementaire "nous a prouvé une fois de plus combien ce projet ne répond à aucune justification technique ou scientifique", a estimé le député Jumel.
Le texte soumis au vote mardi est le fruit d'un compromis en commission mixte paritaire (CMP) entre sénateurs et députés.
Le rapporteur à l'Assemblée, Jean-Luc Fugit (Renaissance), a loué les nouvelles garanties apportées en CMP. L'autorité unique "sera surveillée comme le lait sur le feu", fait-il valoir, soulignant qu'elle devrait présenter son projet de règlement intérieur aux parlementaires.
Un amendement adopté en CMP prévoit par ailleurs "pour chaque dossier" une distinction entre le personnel chargé de l'expertise et celui chargé d'une décision.
Mais, déplore la députée socialiste Anna Pic, "un même agent pourrait intervenir en tant qu’expert sur un dossier une semaine, puis prendre la casquette de décisionnaire la semaine suivante sur un autre", "on va confondre la décision et l'expertise".
G.Stewart--RTC