Indonésie: une fête de l'Aïd déchirante pour les Rohingyas rescapés d'un naufrage
Dans un abri temporaire de l'ouest de l'Indonésie, des réfugiés rohingyas rescapés d'un récent naufrage dans lequel ils ont perdu des dizaines de proches, ont célébré mercredi tant bien que mal la fin du ramadan, au milieu des larmes et des cris de femmes éplorées.
Les hommes se lissent les cheveux avec du gel tandis que des femmes se maquillent et ont revêtu des hijabs colorés pour les prières du début des festivités de l'Aïd al-Fitr. Mais pour ces miraculés qui ont survécu à un naufrage au large d'Aceh fin mars, le coeur n'y est pas, la douleur est trop forte.
Fin mars, 75 membres de cette minorité musulmane persécutée en Birmanie, partis du Bangladesh où ils s'entassent dans des camps sordides, avaient été sauvés d'une mort certaine, accrochés à la coque renversée de leur bateau.
Sur la base du témoignage de plusieurs rescapés, l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait indiqué craindre que des dizaines d'autres réfugiés aient péri. Trois jours plus tard, 11 corps sans vie ont été repêchés en mer.
Les migrants ont ensuite trouvé refuge dans un ancien bâtiment de la Croix-Rouge, mais face à la réaction hostile de dizaines d'habitants, les autorités ont dû les déplacer dans un autre abri.
Mercredi, pour la fin du ramadan, hommes, femmes et enfants ont déployé des nattes près des abris de tentes pour une sombre et triste prière matinale.
Et quand un prédicateur a commencé à entonner les notes de la prière du matin, des larmes ont coulé sur les visages des hommes, yeux fixés vers le sol.
- "Ni frères ni soeurs" -
"Ici, nous n'avons ni frères ni sœurs. Ma famille n'est pas là, c'est pour ça que je pleure", confie Mohammad Rizwan, 35 ans.
"Certains ont également pleuré parce que leur mère, leur père ou leurs frères et sœurs sont morts dans le naufrage. Un de mes amis a perdu six ou sept membres de sa famille", ajoute-t-il.
Des milliers de Rohingyas risquent chaque année leur vie pour fuir par la mer leurs camps surpeuplés du Bangladesh vers la Malaisie ou l'Indonésie, lors de voyages longs et coûteux à bord d'embarcations de fortune.
Entre la mi-novembre et la fin janvier, 1.752 réfugiés sont arrivés en Indonésie, selon le HCR, soit le plus important mouvement de Rohingyas vers l'archipel majoritairement musulman depuis 2015.
"Dans notre ville natale, il y a une fête pour l'Aïd. Il y avait des mères, des pères, des frères et sœurs. Maintenant, même ici, je ressens encore du bonheur, malgré le désastre en mer", témoigne Dostgior.
"Si Dieu l'avait voulu, je serais peut-être mort en mer. Mais j'ai un bon destin, donc je suis en vie", ajoute cet homme.
D'autres ont prié pour poursuivre leur voyage vers un autre pays, alors que l'Indonésie ne leur accorde pas de droit de séjour permanent et que des habitants d'Aceh ont manifesté à plusieurs reprises contre leur présence.
"Le peuple indonésien nous a beaucoup aidé, avec de la nourriture et des vêtements. Les gens nous montrent leur humanité", reconnaît pourtant Zlabul Hoque, 33 ans.
- "Aller en Malaisie" -
"L'Aïd frappe à la porte. Je ne sais pas où ils nous emmèneront après l'Aïd", s'interroge-t-il cependant, ajoutant vouloir "aller en Malaisie".
Les agences humanitaires ont appelé Jakarta à accepter plus de ces Rohingyas, mais l'Indonésie qui n'est pas signataire de la convention des Nations Unies sur les réfugiés, a appelé les pays voisins à en faire davantage pour les accueillir.
A la fin des prières, les hommes se sont levés et ont séché leurs larmes. Le prédicateur au micro n'a pu à son tour retenir ses pleurs.
Les hommes se sont alors embrassés, hurlant leur chagrin au souvenir de leurs proches disparus.
Les femmes s'en sont retournées à leur tente, se tenant les unes les autres et pleurant à l'unisson. L’une d’elles, en proie à une terrible crise de nerfs, a dû être calmée et soutenue.
"Ici, nous ne comprenons aucune langue. Nous ne savons encore rien. Alors nous restons silencieux, nous ne pouvons même aller nulle part", s'est lamentée Dilkayas, une jeune fille de 17 ans.
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O.Greco--RTC