En Haute-Vienne, les moines, le maire et les villageois
"Un mauvais remake de Don Camillo." En Haute-Vienne, le village de Solignac est divisé depuis l'arrivée dans son abbaye, fin 2021, d'une dizaine de moines catholiques traditionalistes dont l'attitude hérisse des habitants et épuise le maire.
Qu'il s'agisse d'une déclaration préalable à l'abattage d'arbres fruitiers ou du paiement d'une expertise sur une grange qui menace de s'écrouler sur la voie publique, il est difficile de ne pas penser aux démêlés qui opposent, dans les films, le curé incarné par Fernandel à Peppone, édile communiste d'une bourgade italienne.
"C'était moins compliqué au Moyen Âge", raille le père Benoît Joseph, prieur de la communauté. "Une autre époque", rétorque Alexandre Portheault, maire sans étiquette de ce bourg de 1.500 âmes, à 10 km de Limoges. "On ne peut pas faire tout ce qu'on veut."
Fondée au VIIe siècle par saint Eloi, trésorier de Dagobert, l'abbaye de Solignac hébergea des moines jusqu'à la Révolution. Puis les 10.000 mètres carrés de cette bâtisse aux 250 fenêtres abritèrent une prison, une institution de jeunes filles et une fabrique de porcelaine, avant d'autres implantations religieuses.
La mairie envisageait d'installer un Ehpad et un centre de formation dans les bâtiments, inoccupés pendant 17 ans, mais le diocèse de Limoges, propriétaire, a voulu "sauver ce haut lieu spirituel et patrimonial".
Après plusieurs manifestations d'intérêt, il a autorisé la fondation d'un prieuré, dépendant de l'abbaye bénédictine de Flavigny-sur-Ozerain (Côte-d'Or), une communauté "régulièrement reconnue par l'Eglise catholique et l'Etat français".
- "Chiens de faïence" -
Tags, reproductions du tableau "L'Origine du Monde" de Courbet glissées dans les livrets liturgiques, étron trouvé dans l'abbatiale... les signes de protestation n'ont pas cessé depuis la messe d'installation des moines, accueillis par un concert de casseroles.
Et que les cloches aient sonné en pleine cérémonie du 8 mai 1945 n'a rien arrangé.
"Les habitants se regardent en chiens de faïence. Vous avez les pro-moines, les anti-moines et au milieu, la mairie", soupire Alexandre Portheault.
Certains dénoncent "l'annexion" de l'abbatiale, l'église communale, par les bénédictins lors de leurs sept offices quotidiens, dont la messe conventuelle célébrée en latin, avec chants grégoriens.
Les concerts aux chandelles, notamment à Noël, ont disparu face à de nouvelles conditions "trop restrictives", déplore l'association qui les organisait depuis plus de 40 ans. Et le mobilier liturgique contemporain, dont l'autel, financé en partie par une souscription, a été déplacé dans une autre église du département.
"Je n'y mets plus les pieds, ça me rend malade", se désole une habitante qui fleurissait régulièrement les lieux. "Les fidèles ont été mis à la porte de chez eux, on a affaire à des moines conquérants", grince cette octogénaire qui regrette l'ancien curé du village.
"L'église est ouverte à tous depuis l'office de matines à 05H25 jusqu'à l'office des complies à 20H30", avait précisé l'évêché face aux critiques à l'arrivée des moines.
- "Espace vital" -
Autre pomme de discorde, la restitution à ces derniers de terrains prêtés à la mairie, qui y organisait vide-greniers, marchés de producteurs ou les activités du centre aéré.
"Une vraie perte pour la population", estime Colette Roubet, membre du collectif "Soli Niaque" qui a écrit à Gérald Darmanin, ministre des Cultes, et saisi la préfecture.
"C'est comme si vous aviez acheté une maison à un vieux monsieur qui avait prêté le jardin aux enfants du voisin. Vous êtes libres de dire: +le terrain m'appartient+", réplique l'abbé Benoît Joseph.
"Les moines ont besoin d'un peu d'espace vital pour se promener, méditer, trouver le silence, mais aussi pour jardiner", avait justifié l'évêque de Limoges, Mgr Pierre-Antoine Bozo, sur la chaîne KTO.
Pour assurer leur subsistance, les religieux comptent vendre des bières par correspondance et dans un commerce vide du village. Ils prévoient aussi d'accueillir des retraites spirituelles, réservées aux hommes.
"Le village meurt un peu et notre présence est de mesure à le relancer", affirme le prieur pour qui la communauté "se sent de mieux en mieux" malgré les "incitations à la haine".
Une partie des habitants ne voit rien à redire à ces "érudits" qui fréquentent les commerces, jusqu'au camion-pizza. En Limousin, terre de saints déchristianisée, "c'est une tradition monastique qui reprend. Le temps est pour nous", ajoute le père Benoît.
- "Effet de halo" -
"Ce qui nous inquiète, c'est la nature de cette communauté, qui implique la venue de tout un écosystème lié au traditionalisme catholique, identitaire", justifie Jacques Merzeau, membre du collectif d'habitants classé à gauche.
Ils redoutent que le village ne devienne un "bastion intégriste" comme Fontgombault (Indre) où, selon eux, les moines bénédictins de la congrégation de Solesmes ont fait "main basse" sur la bourgade.
Depuis deux ans, des familles nombreuses se sont installées à Solignac et alentour, et d'autres rechercheraient des habitations, selon les élus locaux.
"Là où il y a des communautés monastiques, il y a un effet de halo avec le rapprochement de familles à la recherche d'une offre cultuelle qui se raréfie et d'un milieu de sociabilisation catholique", corrobore Yann Raison du Cleuziou, chercheur spécialiste du catholicisme.
Il y a deux ans, un promoteur immobilier ciblant les lieux spirituels chrétiens, Monasphère, a envisagé une implantation à Solignac, projet jugé "intéressant" par Mgr Bozo à l'époque. Mais cette société "n'est plus en activité depuis 2022", dit aujourd'hui le diocèse. Un programme similaire en Indre-et-Loire a échoué face à la bronca des habitants.
Le Cours Saint-Martial, école catholique hors contrat adossée au rigoriste Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, va en revanche déménager de Limoges au Vigen, commune voisine de Solignac, pour s'installer dans un ancien restaurant. Qui fut aussi une discothèque, La Gargouille... et a failli devenir un club échangiste.
G.Abbenevoli--RTC