Géorgie: la jeunesse dans la rue contre une loi décriée, pour ne pas "devenir la Russie"
Un millier de manifestants, jeunes pour la plupart, demeurent rassemblés lundi devant le parlement de la Géorgie contre une loi sur l'"influence étrangère" accusée de détourner Tbilissi de son chemin européen pour l'entraîner vers Moscou.
Le texte est vivement critiqué par les États-Unis et l'Union européenne à laquelle la Géorgie, ancienne république soviétique, est candidate à l'adhésion. Il a suscité des rassemblements massifs d'opposition, dont certains ont été réprimés.
Les contestataires, qui manifestent depuis début avril, ont surnommé ce texte la "loi russe", car il imite une législation utilisée par le Kremlin pour réprimer les voix dissidentes.
Lundi, les manifestants, majoritairement des jeunes, exprimaient leur colère contre le projet, estimant qu'il ruine les rêves européens de leur pays et met en péril la démocratie.
"Cette loi veut dire qu'on ne rejoindra pas l'Europe", s'inquiétait Mariam Kalandadzé, 22 ans, or "c'est quelque chose que j'ai toujours voulu".
"On compte rester ici aussi longtemps qu'il le faudra", a-t-elle déclaré à l'AFP, les étudiants de la capitale Tbilissi s'étant mis en grève lundi.
Des dizaines de milliers de personnes avaient manifesté dimanche, certains restant toute la nuit pour empêcher les députés d'entrer dans le parlement.
- Craintes -
A l'aube, l'AFP a vu des policiers interpeller violemment un groupe de manifestants.
Les rassemblements se déroulent dans un climat de tensions, les autorités ayant prévenu qu'elles arrêteraient les personnes bloquant le parlement.
"Si cette loi passe, nous allons progressivement devenir la Russie", affirmait de son côté Artchil Svanidzé, un autre manifestant de 26 ans, y voyant l'opposé de l'avenir qu'il espère pour son pays.
Depuis le début, les moins de 30 ans constituent le fer de lance du mouvement. Mais beaucoup assurent que leurs aînés sont eux aussi convaincus.
"On a toujours su qu'on faisait partie de l'Europe. Toutes les générations le savent", a déclaré Artchil Svanidzé, fier de dire que son père était resté manifester une bonne partie de la nuit.
Salomé Lobjanidzé, 18 ans, s'est elle dit "ravagée" par la loi. "Si elle est votée, beaucoup de gens qui sont ici aujourd'hui partiront" du pays, a-t-elle prédit.
L'Union européenne, qui a accordé en décembre 2023 à la Géorgie le statut de candidat officiel, a salué "l'engagement impressionnant" des Géorgiens en faveur de l'intégration européenne et exhorté Tbilissi à enquêter sur les actes de violence à l'égard des manifestants qui ont été signalés.
"Nous condamnons fermement les actes d'intimidation, les menaces et les agressions physiques", a déclaré lundi Peter Stano, un porte-parole du service diplomatique de l'UE.
- "Transparence" ou répression -
En cas d'adoption, la loi imposera à toute ONG ou organisation médiatique recevant plus de 20% de son financement de l'étranger de s'enregistrer en tant qu'"organisation poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère".
Le gouvernement assure que cette mesure vise à obliger les organisations à faire preuve de davantage de "transparence" sur leurs financements.
L'élu Nikoloz Samkharadzé, du parti "Rêve géorgien", a affirmé que le projet n'avait "rien à voir" avec la loi russe décriée, réaffirmant par ailleurs son attachement à l'adhésion à l'UE.
La loi a déjà été approuvée au cours de deux lectures, et nécessite un troisième vote.
La présidente Salomé Zourabichvili, une pro-européenne en conflit ouvert avec le gouvernement, devrait y opposer son veto, mais le "Rêve géorgien" assure avoir assez de voix pour passer outre.
Le parti au pouvoir avait déjà tenté de faire passer cette loi en 2023, avant d'y renoncer en raison déjà de rassemblements d'opposition massifs.
Son retour devant les députés début avril a créé la surprise et provoqué des manifestations.
Bidzina Ivanichvili, homme d'affaires richissime perçu comme le dirigeant de l'ombre de la Géorgie, voit les ONG comme un ennemi de l'intérieur au service de puissances étrangères.
Cet homme, Premier ministre de 2012 à 2013 et aujourd'hui président honoraire du "Rêve géorgien", est soupçonné d'affinités avec la Russie, pays où il a fait fortune.
Y.Schmitz--RTC