Après une nuit de violences en Nouvelle-Calédonie: couvre-feu et appel au calme des autorités
Magasins pillés, maisons incendiées, tirs sur les gendarmes: la violence s'est déchaînée dans la nuit de lundi à mardi en Nouvelle-Calédonie avant le vote des députés sur une révision constitutionnelle décriée par les indépendantistes.
Le représentant de l'Etat dans l'archipel français du Pacifique sud, Louis Le Franc, a décrété le couvre-feu pour la nuit de mardi à mercredi dans l'agglomération de Nouméa.
"On n'a pas de morts, il n'y a pas de blessés graves pour l'instant, il y aurait pu y en avoir", a déclaré le haut-commissaire de la République devant la presse en appelant au calme.
Le président indépendantiste du gouvernement du territoire, Louis Mapou, a lui aussi exhorté la population "au calme et à la raison".
Les premières altercations entre manifestants et forces de l'ordre ont commencé dans la journée de lundi, en marge d'une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle examinée à Paris à l'Assemblée nationale, qui vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales en Nouvelle-Calédonie.
Les indépendantistes estiment que ce dégel risque de "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak".
M. Le Franc a rapporté "des tirs tendus avec des armes de gros calibre, des carabines de grande chasse, sur les gendarmes" dans la nuit de lundi à mardi dans la commune du Mont-Dore, au sud-est de Nouméa.
- "Déchainement de haine" -
"On a malheureusement pu constater des exfiltrations d'habitants de leur domicile pour qu'ensuite leur domicile soit brûlé", a ajouté Louis Le Franc.
Des éléments du GIGN, l'unité d'intervention d'élite de la gendarmerie, sont intervenus pour secourir une personne âgée de 81 ans dont la maison était en flammes, a indiqué Gérald Darmanin à l'Assemblée nationale.
Le ministre de l'Intérieur a précisé que l'octogénaire était le père de Sonia Backès, la présidente de la province Sud de l'archipel, ancienne secrétaire d'Etat et principale figure du camp non-indépendantiste.
"Nous avons été confrontés depuis plus de vingt-quatre heures à un vrai déchaînement de haine, un déferlement de jeunes souvent alcoolisés, manifestement manipulés et d'une violence assez inouïe", a déploré le général Nicolas Matthéos, commandant de la gendarmerie de Nouvelle-Calédonie.
Quarante-trois gendarmes ont été blessés, selon un bilan effectué à 06H00 (heure de Paris) par la gendarmerie, qui a fait état de 13 interpellations.
Des brigades de gendarmerie ont été attaquées, selon la même source, évoquant des émeutiers essayant de pénétrer dans les lieux "avec des sabres", des "caillassages" et des "tirs".
En zone police, 49 personnes ont été interpellées et neuf policiers blessés, selon une source policière.
Dans la crainte d'un enlisement, des éléments du GIGN, du RAID, son équivalent pour la police, quatre escadrons de gendarmes mobiles et deux sections de la CRS 8, une unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, ont été mobilisés.
- Entreprises incendiées -
Sept escadrons de gendarmerie sont sur place, contre trois à quatre en temps normal, selon la gendarmerie.
Les autorités s'inquiètent particulièrement de la situation dans une usine incendiée située à l'entrée de Nouméa dans laquelle une trentaine d'émeutiers étaient retranchés mardi. "Nous leur demandons instamment de quitter les lieux, en raison du risque d'explosion imminent" de deux cuves d'hydrogène situées sur le site, a indiqué M. Le Franc.
Les pompiers de Nouméa ont dit avoir reçu près de 1.500 appels dans la nuit de lundi à mardi et être intervenus sur environ 200 feux.
Selon une organisation patronale, une trentaine de commerces, usines et entreprises ont été incendiés.
"J'ai un sentiment de tristesse", confie à l'AFP Jean-Franck Jallet, propriétaire d'une entreprise de boucherie sauvée des flammes par les pompiers.
"Nous avons 40 salariés, on est passé à côté de la catastrophe. On a cru que le vivre-ensemble était possible mais ça n'a pas marché, il y a trop de mensonges", a déploré ce patron.
Mardi, les rues de Nouméa et de sa banlieue étaient parsemées de carcasses de voitures incendiées et débris fumants de pneus et de palettes de bois, a constaté un correspondant de l'AFP sur place.
Même si la situation semblait plus calme mardi, de nombreuses barricades restaient actives.
- Aéroport fermé -
Tout rassemblement a été interdit dans le grand Nouméa, de même que le port d'armes et la vente d'alcool dans l'ensemble de l'archipel, a indiqué le haut-commissariat, qui a invité les 270.000 habitants de Nouvelle-Calédonie à rester chez eux.
Le gouvernement calédonien a de son côté annoncé la fermeture des lycées et collèges jusqu'à nouvel ordre. L'aéroport international est fermé et la compagnie Aircalin a suspendu ses vols pour la journée de mardi.
Au cours d'une séance tendue lundi à l'Assemblée nationale, Gérald Darmanin a appelé les députés à adopter sans modification la réforme, qui ouvre le scrutin provincial aux résidents installés depuis au moins dix ans sur l'île.
Alors qu'un vote solennel était normalement prévu mardi après-midi, les débats n'ont pas pu être menés à leur terme dans la nuit, en raison d'un grand nombre d'amendements déposés notamment par le groupe La France insoumise (LFI).
Un nouveau calendrier des débats doit être acté mardi matin.
Après celle du Sénat, l'approbation de l'Assemblée est nécessaire avant de réunir le Parlement en Congrès pour réviser la Constitution, à une date qui reste à fixer.
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C.P.Wilson--RTC