A l'EPR de Flamanville, dernière ligne droite avant les premiers watts
Il y a eu des embrassades et même des "petites larmes": après 17 ans d'un chantier laborieux, chacun a célébré à sa manière le lancement "historique" du réacteur nucléaire de nouvelle génération EPR de Flamanville, où vient de se terminer l'étape clé du chargement du combustible.
Douze ans après la date prévue, les équipes EDF voient le bout du tunnel, avec la mise en service du 57e réacteur du pays, une première depuis 22 ans.
"Cela fait 20 ans qu'on n'en a pas construit en France, c'est vraiment une très grande fierté pour les équipes", a dit le directeur du projet Alain Morvan à des journalistes, lors d'une visite le 10 mai dans les entrailles du réacteur alors en pleine manoeuvre de chargement de l'uranium.
Face à la Manche, à côté de deux réacteurs plus anciens, ce premier réacteur nouvelle génération construit en France (4e de ce type installé dans le monde) sera le plus puissant du pays. D'une capacité de 1.600 mégawatts (MW), il permettra d'alimenter près de trois millions de ménages.
Au terme d'un long et difficile chantier, le sésame de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est finalement tombé le 7 mai, à 17h18.
"Il y en a qui ont versé une petite larme", d'autres "ont sauté de joie", on s'est même "un peu embrassés", a raconté Guillaume Heinfling, directeur d'exploitation de Flamanville 3, où 800 personnes travailleront désormais dont 200 sous-traitants.
"C'était un grand moment d'émotion et en même temps, on savait que derrière on aurait encore du travail et qu'il fallait qu'on reste concentrés".
La suite s'annonce en effet chargée avec une succession d'essais et paliers à passer, sous la surveillance du gendarme du nucléaire.
- Chargement "millimétré" -
Un premier jalon vient d'être franchi: le chargement du combustible dans la piscine du bâtiment réacteur. La manoeuvre, entamée le 8 mai, au lendemain de l'autorisation de l'ASN, s'est achevée mercredi.
Dans le bâtiment réacteur, cathédrale de béton coiffée d'un dôme de 55 m de diamètre, les opérateurs ont pendant toute une semaine vécu un peu "dans leur bulle": rien ne devait perturber cette "opération millimétrée" qui aura mobilisé une trentaine de personnes 24h/24, expliquait vendredi Fabien Cudelou, chef du chargement du combustible.
Environ 60.000 crayons, de fins tubes longs de 5 mètres contenant des pastilles d'uranium, devaient être insérés dans la cuve de 10 mètres de haut, à l'aide d'une immense machine montée sur rails faisant des va-et-vient depuis le bâtiment d'entreposage du combustible.
La manoeuvre a été réalisée sous une épaisseur de 20 mètres d'eau pour protéger des effets de radioactivité, même si le combustible est "neuf", donc non irradiant, selon EDF.
Le chargement terminé et la cuve refermée avec son convercle, la montée en pression et en température de la chaudière jusqu'à un premier jalon à 110 degrés va désormais pouvoir commencer.
Pour la suite des opérations, il faudra encore des autorisations. Notamment avant de lancer la "divergence", la première réaction de fission nucléaire, vers fin juin selon l'ASN, le "moment qu'on attend tous", assure Alain Morvan.
Puis lorsqu'EDF atteindra le palier de 25% de puissance. A cette étape, le réacteur pourra être raccordé au réseau électrique (le "couplage") et livrer ses premiers électrons, au cours de l'été.
Ce sera alors au tour de la turbine Arabelle 1000, le modèle le puissant du monde, avec son arbre de 70 mètres, d'entrer en action: au "couplage", l'engin, qui attend son heure dans la salle des machines, tournera à 1.500 tours/minute pour produire l'électricité, mue par la vapeur créée grâce à la chaleur du réacteur.
Un ultime avis sera requis au franchissement du palier à 80%, avant la production à 100% de puissance, escomptée en fin d'année.
Fin 2025, le réacteur devra être arrêté pour une visite de maintenance, et le couvercle de la cuve remplacée courant 2026 en raison d'anomalies connues de longue date.
Au vu des nombreux déboires du chantier, qui a vu sa facture quadruplée à 13,2 milliards d'euros, selon EDF, les associations écologistes s'interrogent toujours sur la fiabilité de l'EPR, Sortir du Nucléaire regrettant "une mise en service hâtive".
"Oui, il y a eu des moments douloureux (...) mais on a toujours rebondi et aujourd'hui on a une installation avec un haut niveau de qualité", et "qui sera sûre", promet Alain Morvan.
F.Abateo--RTC