Herbicide interdit par l'UE: les semis de la dernière chance pour les endiviers
Les carottes sont-elles cuites pour le chicon ? Jugeant peu concluantes les expérimentations pour remplacer le Bonalan, leur principal herbicide, interdit depuis lundi dans l'Union européenne en raison de son impact sanitaire, les endiviers vont jusqu'à craindre la disparition de leur filière.
"La messe est dite", souffle auprès de l'AFP Hugues Moilet, président de la marque Perle du Nord, après une rencontre jeudi avec la ministre déléguée à l'Agriculture, Agnès Pannier-Runacher, au centre d'expérimentation de l'Association des producteurs d'endives de France (Apef) à Arras.
Ils viennent de constater, ensemble, le contraste frappant entre une parcelle traitée au Bonalan, l'herbicide ancestral de la filière, et une parcelle sans, infestée d'herbes hautes. "Soixante-sept (mauvaises herbes) du mètre carré !", peste Philippe Bréhon, président de l'Apef.
Sous l'ombre de nombreuses feuilles de ces plantes invasives, les chénopodes, qui mesurent souvent plus d'un mètre, les endives peinent à se développer pleinement.
La benfluraline, molécule présente dans le Bonalan, est interdite d'utilisation dans l'Union européenne depuis lundi, après une décision prise en janvier 2023 par la Commission européenne.
Rangée parmi les polluants éternels (ou PFAS), la molécule "présente un certain nombre d'indices d'un caractère cancérigène et d'un impact sur la reproduction" humaine, souligne Agnès Pannier-Runacher.
- "Pas vraiment anticipé" -
"Nous, on ne demande qu'à sortir du Bonalan, mais il nous faut du temps", répond auprès de l'AFP Philippe Bréhon qui, outre ses fonctions à l'Apef, est endivier dans le Pas-de-Calais.
Certes, "on savait que le Bonalan allait repasser au crible, mais on pensait que l'autorisation allait être prolongée" par la Commission, reconnaît Benoit Coustenoble, producteur d'endives à Avelin (Nord). "On n'a pas vraiment anticipé", avoue-t-il.
La récolte 2024 sonne presque comme celle de la dernière chance pour la filière, qui revendique 4.000 emplois directs.
Quelques expérimentations pour remplacer le Bonalan ont été lancées ces dernières années, certaines avec des premiers signes positifs. Deux d'entre elles sont notamment testées à vaste échelle cette année, dont l'une avec l'aide de l'Etat, qui promet une autorisation d'urgence en cas de tests concluants.
Mais les premiers résultats sont loin de rassurer les producteurs.
Au total, sous l'égide de l'Apef, entre 20 et 30 substituts potentiels au Bonalan sont actuellement expérimentés ou le seront dans les prochaines semaines, sur des terres de l'Apef et chez des producteurs d'endives.
"On ne trouvera pas une molécule qui remplacera exactement le Bonalan", qui ne demande à être pulvérisé qu'une fois, en amont des semis, prévient d'ores et déjà Agnès Pannier-Runacher. Il faudra selon elle accepter de remplacer l'herbicide par "différentes solutions" associées, pour un coût de production probablement plus élevé.
- "Très pessimiste" -
La France étant de très loin le premier producteur mondial d'endives et les Hauts-de-France représentant 90% de la production hexagonale, les cultivateurs de la région se savent isolés dans leur quête.
L'Apef s'est fixé jusqu'en septembre pour "prendre des décisions", souligne Philippe Bréhon, afin de laisser suffisamment de temps aux producteurs pour s'approvisionner avec le meilleur produit de substitution. Mais "je ne pense pas qu'on aura la solution d'ici-là", prévient-il.
"Et même si on a un bon résultat, l'année prochaine, on doit conseiller toute la profession avec une seule année de recul ?", s'interroge Benoit Coustenoble.
Il se souvient d'une expérimentation menée dans son exploitation l'an dernier, qui avait donné de "très bons" résultats à Avelin, pour un rendu "catastrophique" ailleurs.
La filière dépend pour partie de producteurs de racines d'endives, des sous-traitants que les endiviers craignent de voir se tourner vers des productions présentant de meilleures garanties, notamment la pomme de terre.
Un cercle vicieux qui fait dire à Hugues Moilet que "la filière n'existera plus dans trois ans. Il restera quelques producteurs, mais ce ne sera plus une filière".
Lui se dit "très pessimiste", et anticipe une chute de 50% de sa production dès l'année prochaine.
F.Maes--RTC