Symbole de liberté, l'Iranien Rasoulof ovationné à Cannes
Le cinéaste Mohammad Rasoulof a transformé le Festival de Cannes en caisse de résonance pour les femmes iraniennes et leur résistance, en fuyant le régime des mollahs au péril de sa vie pour venir présenter en personne son film.
Le contexte politique de cette projection à Cannes, ainsi que la force du film lui-même, font des "Graines du figuier sauvage", l'un des candidats les plus sérieux à la Palme d'or, remise samedi soir.
Tourné clandestinement, mais impeccablement réalisé, le film suit pendant 02H45 un enquêteur iranien, qui vient d'être promu magistrat, et des femmes de trois générations différentes: son épouse, leur fille cadette, une étudiante, et la benjamine, adolescente.
Le soulèvement populaire qui a suivi la mort de Mahsa Amini, arrêtée fin 2022 pour ne pas avoir respecté le code vestimentaire islamique, est en toile de fond du film. Et va bouleverser la vie des protagonistes.
Alors que le père est sommé par les autorités de requérir la peine de mort à tour de bras contre des opposants au régime, ses filles portent secours à l'une de leurs camarades, blessée par la police dans une manifestation.
Paranoïa, mensonge et poison du soupçon: parallèlement au régime qui se durcit, la famille tombe dans un engrenage fatal.
- L'exil ou la prison -
Avant sa présentation, il n'avait dont plus d'autre choix que l'exil ou le retour en prison.
Il y a encore quinze jours, personne n'aurait imaginé ce grand nom du cinéma iranien qui a bravé pendant des années la censure, et a été condamné en appel à huit ans de prison dont cinq applicables, fouler le tapis rouge.
Au prix d'une dangereuse fuite clandestine à travers les montagnes, qui l'a conduit jusqu'en Europe, Rasoulof a finalement pu gagner Cannes, où il a reçu une ovation debout, aux côtés de l'actrice iranienne Golshifteh Farahani, qui vit en exil en France depuis une quinzaine d'années.
Il était aussi accompagné de sa fille Baran, un passage de témoin symbolique puisque c'est cette dernière qui avait reçu l'Ours d'or à Berlin au nom de son père, interdit de quitter son pays, il y a quatre ans.
Seule une partie de l'équipe du film a toutefois pu quitter l'Iran.
Sur le tapis rouge Mohammad Rasoulof a brandi les photos de deux de ses acteurs principaux, Missagh Zareh et Soheila Golestani, le père et la mère dans le film.
- Soutien -
En l'accueillant en personne, le 77e Festival envoie un signal "à tous les artistes qui, dans le monde, subissent violences et représailles dans l'expression de leur art", a souligné le délégué général du festival, Thierry Frémaux, à l'AFP. Et, plus largement, aux opposants au régime en place en Iran, où la répression ne cesse de s'accentuer.
Amnesty International affirme que l'Iran, secoué par un mouvement de contestation fin 2022 après la mort de la jeune Mahsa Amini, a exécuté 853 personnes en 2023, le nombre le plus élevé depuis 2015.
Les cinéastes sont régulièrement accusés de propagande contre le régime, dans un pays où les conservateurs concentrent tous les pouvoirs. Une donne peu susceptible d'évoluer après la mort récente du président Ebrahim Raïssi dans un crash d'hélicoptère.
Les festivals internationaux et la caisse de résonance qu'ils offrent sont une forme de reconnaissance importante pour les cinéastes iraniens aux prises avec le régime, à l'image de Jafar Panahi ("Taxi Téhéran") ou Saeed Roustaee ("Leila et ses frères"), régulièrement sélectionnés, malgré la répression qu'ils subissent.
Outre "Les graines du figuier sauvage", le jury présidé par l'Américaine Greta Gerwig visionne également vendredi le dernier des 22 opus de la compétition, "La plus précieuse des marchandises", de Michel Hazanavicius ("The Artist"), film d'animation évoquant la Shoah.
H.Bastin--RTC