Ukraine : ces valeureux soldats devenus épouvantails d'une impopulaire mobilisation militaire
Pavlo Pimakhov est un vétéran ukrainien décoré blessé par deux fois en combattant les Russes. Mais aujourd'hui, quand il patrouille dans les rues de Kiev, les passants s'écartent, lui jetant des regards noirs.
Car cet homme de 35 ans au généreux sourire est officier de recrutement. Son travail, procéder à des contrôles d'identité et remettre à ceux qui ne sont pas en règle des convocations en vue d'un éventuel enrôlement dans l'armée.
Malgré lui, Pavlo est l’allégorie du débat houleux qui agite l'Ukraine sur la meilleure manière de regarnir les rangs des troupes épuisées par plus de deux années de guerre, au moment même où la Russie a l'initiative et les meilleures armes.
Perdant village après village dans l’est depuis janvier, les forces ukrainiennes manquent d’hommes, face à une armée russe aux effectifs plus étoffés et mieux équipée. Pour combler l'écart, faute de volontaires en nombre suffisant, les autorités ukrainiennes ont élargi la mobilisation aux jeunes de 25 à 27 ans, une décision impopulaire.
D'où la tâche peu enviable de Pavlo d'envoyer les civils aux centres de recrutement militaires qui passent ensuite en revue les dossiers, les mettent à jour avant de décider qui sera enrôlé.
Le jeune soldat admet ne pas aimer sa mission et aurait préféré retourner sur le champ de bataille. "Au front, il y a de la camaraderie, une sorte de fraternité".
"Là-bas, j'étais un héros. Ici, je suis un monstre", dit-il à l'AFP.
En effet, dans les rues arborées comme dans les parcs, quand Pavlo et son collègue Iouriï Pikhota patrouillent encadrés par leur escorte policière, les hommes en âge de combattre s'éparpillent.
- "Attraper les gens" -
Car les avancées russes, le manque de munitions, les pertes ont nourri la défiance de la population à l'égard des recruteurs.
Irina, une vendeuse de 34 ans dans un centre commercial voisin, observe les deux militaires s'approcher d'un civil en short, assis sur un banc en train de siroter un café avec une femme. Pavlo et Iouriï lui remettent une convocation au centre de conscription.
"Ils viennent le matin et restent jusqu'au soir. Ils attrapent les gens dans la rue. C'est terrible", soupire Irina en secouant la tête.
C'est ensuite au tour d'un trentenaire en claquettes, de se faire happer par Pavlo et son binôme. Pour sa défense, l'homme explique que ses documents militaires sont perdus dans la zone occupée du sud de l'Ukraine.
Le ton monte. Des passants filment la scène, d'autres s'en mêlent et réclament à la police que le jeune homme soit relâché. Il finit par être autorisé à repartir. "Putain ! Ils ont complètement perdu la boule !", lâche-t-il, quittant les lieux à la hâte.
Depuis quelques semaines, les réseaux sociaux sont inondés de vidéos de ce type, montrant des officiers de recrutement se faisant insulter. Des images reprises par la propagande russe.
- "Ca me brise le coeur" -
Calepin en main, Pavlo se remémore les affrontements dans le Donbass (est) l’année dernière. Coincé par des tirs de soldats embusqués, il avait sauté d'une fenêtre du deuxième étage pour s'échapper, se cassant la jambe.
"Tout ça me brise le coeur. Nous faisions la queue pour rejoindre l'armée (au début de l'invasion, ndlr) et nous voyons là les gens s'enfuir. Je n'arrive pas à comprendre", raconte-t-il, dépité.
Son collègue Iouriï s'est engagé au début de la guerre, rejoignant l'Ukraine alors qu'il vivait en Israël. Une blessure l'empêche lui aussi de retourner au front dans l'immédiat.
Les deux hommes, qui scrutent sans cesse les vidéos de combats de leurs camarades sur leurs téléphones, espèrent qu'ils seront bientôt suffisamment rétablis pour repartir se battre.
"C'est parfois difficile de se contrôler émotionnellement et psychologiquement", explique Iouriï, ne faisant pas allusion aux combats mais aux insultes dont il est aujourd'hui la cible.
Le ressentiment suscité par la mobilisation a été aggravé par des scandales de pots-de-vin pour échapper à l'armée. D'autres s'enfuient, risquant leur vie ou la perdant en traversant illégalement montagnes et rivières pour rejoindre la Roumanie ou la Moldavie voisines.
Pavlo Pimakhov continue quant à lui ses patrouilles, convaincu que son pays n'a pas le choix et que les hommes sur le front depuis deux ans ont besoin de rotations.
"Je sais que c'est ce qu'il faut faire. Mes frères d'armes ont besoin d'être relayés. Ils doivent pouvoir se reposer. Ils ont besoin de voir leurs familles".
Jensen--RTC