Elections au Royaume-Uni: dans une circonscription clé, le profond sentiment de déclin
Habituellement, la ville de Bury, dans le nord de l'Angleterre, fait parler d'elle pour sa spécialité, le boudin noir. Mais à l'approche des législatives, c'est en tant que circonscription clé qu'elle attire les convoitises des conservateurs et surtout des travaillistes, sans réveiller l'enthousiasme des électeurs.
Ce n'est pas un hasard si le dirigeant du parti travailliste Keir Starmer a annoncé ici son programme pour la défense le 3 juin. La numéro 2 du parti, Angela Rayner, est elle venue parler petite enfance.
Bury North, dans la région de Manchester, est bien placée sur la "target list", les objectifs, du parti travailliste.
Lors des dernières élections en 2019, la circonscription de Bury North a été remportée par les Tories, les conservateurs, avec 105 voix d'avance. Il ne faudrait donc pas grand chose pour que cette zone défavorisée bascule côté Labour, le grand favori des législatives du 4 juillet au Royaume-Uni, dirigé depuis 14 ans par des conservateurs.
Le Premier ministre Rishi Sunak a également fait le déplacement fin mai. Mais ici comme dans tout tout le pays, des électeurs des Tories tournent le dos à ce parti, qui a plus de 20 points de retard dans les sondages sur les travaillistes.
C'est le cas de Frank Haslam, un retraité de 70 ans, qui flâne sur le marché de Bury. "Je vais voter Labour", lâche-t-il. La dernière fois, c'était "probablement" pour Tony Blair, en 1997.
Depuis, son vote allait aux conservateurs. Mais interrogé par l'AFP sur ses doléances, il se montre implacable: "Tout s'est dégradé. Je ne vois rien de bien pour le futur dans ce pays".
Dans sa liste, il y a l'immigration clandestine: "Les conservateurs ont dit qu'ils allaient l'arrêter mais ça n'a pas été le cas". Puis le NHS, le système de santé public, à bout de souffle, avec d'interminables listes d'attente pour accéder aux soins. "Or, avoir une assurance privée coûte une fortune".
- Nids de poule -
Les conservateurs ont perdu une autre voix, celle de Lesley Callaghan. Elle votera Reform UK, le parti anti-immigration de Nigel Farage, qui vient de créer la sensation en devançant les conservateurs dans un sondage.
"Je votais conservateur, mais ils ont eu beaucoup de temps pour corriger les choses et ça ne va pas mieux", explique cette retraitée de 58 ans.
"Je veux essayer quelqu'un d'autre qui pourrait faire quelque chose contre l'immigration illégale", sujet qui devrait, selon elle, être la priorité du prochain gouvernement.
A son tour, elle dresse la liste de ce qui ne va plus dans le pays: la santé mais aussi les nids de poule, qui semblent n'épargner aucune région d'Angleterre et sont devenus le symbole d'un pays qui fonctionne moins bien.
"Tel parti promet ceci, tel parti promet cela et après rien ne se passe", dit la poissonnière Sharon Hallows, qui ira quand même voter: "J'ai le droite de vote, donc je vais l'utiliser".
Habituellement, elle opte pour le Labour, mais cette fois, elle ne sait "pas encore". Elle est sûre d'une chose: la priorité devrait être le NHS. "Je suis inquiète. Tous ces gens qui attendent 12 heures dans le couloir d'un hôpital. (...) Il y a 20 ans, ça n'existait pas".
Saqib Ibrahim, 23 ans, attend les clients devant un magasin d'optique. "Je perds tout espoir pour ce pays", dit le jeune homme, qui ne sait pas encore s'il ira voter. Il évoque tous ces gens qui "se débattent avec les factures" et lui aussi déplore l'état des routes. "On paie des impôts pour rien!".
Ce désenchantement serait-il propre au centre de Bury, où déambulent en pleine journée de nombreuses personnes visiblement en difficulté?
Dans un coin plus cossu de la circonscription, les réponses sont sensiblement les mêmes. Dans un café où s'est rendu fin mai Rishi Sunak - et où il aurait été hué selon la presse locale -, beaucoup disent qu'ils n'iront pas voter, à coup de: "Tous les mêmes".
Un couple se distingue, des septuagénaires habitués à voter Labour.
"C'est atroce ce qu'ont fait les conservateurs ces 14 dernières années", dit Lynn Greenwood, une ancienne travailleuse sociale. Elle évoque les derniers Premiers ministres: Boris Johnson, "le menteur" tombé sous l'effet des scandales, Liz Truss "qui a bombardé l'économie" et n'a tenu que 49 jours en poste, Rishi Sunak, "le multimillionnaire déconnecté".
Mais elle n'a "aucun enthousiasme" à l'idée de voter Labour.
Son mari Paul votera travailliste, mais n'est "pas un fan de Keir Starmer", qu'il juge trop à droite. "Mes priorités seront les sujets locaux", dit-il. Il évoque la santé, et bien sûr, les nids de poule.
P.Smid--RTC