Manifestations au Kenya: la police tire des gaz lacrymogènes à Nairobi
La police kényane a tiré jeudi des gaz lacrymogènes sur de petits groupes de manifestants à Nairobi, au lendemain de l'annonce par le président Williem Ruto du retrait de son projet de budget après la journée de contestation de mardi qui a dégénéré en violence meurtrière dans la capitale.
Si de précédentes journées de mobilisation réclament le retrait de ces nouvelles taxes s'étaient déroulées dans le calme, la manifestation de mardi à Nairobi a tourné au bain de sang, notamment aux abords du Parlement, dont certains bâtiments ont été incendiés et saccagés.
Face à la mobilisation, le président Ruto a annoncé mercredi le retrait du projet de budget.
Mais cela n'a pas dissuadé les manifestants, qui se sont également rassemblés dans les fiefs de l'opposition de Mombasa (est) et Kisumu (ouest).
Au delà du projet de budget, le mouvement de contestation s'est transformé en une dénonciation plus large de la politique de William Ruto, élu en 2022 avec la promesse de favoriser la redistribution aux classes populaires.
Quelques échauffourées ont éclaté à la mi journée à Nairobi entre les forces de l'ordre, déployées en nombre dans les rues du centre-ville, et des petits groupes de manifestants. Au moins trois personnes ont été arrêtées, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Des policiers en tenue anti-émeute ont bloqué jeudi l'accès aux routes menant à State House - le palais présidentiel - et au Parlement.
Lors de la précédente mobilisation, mardi, la police avait selon plusieurs ONG tiré à balles réelles pour tenter de contenir la foule qui a forcé les barrages de sécurité pour pénétrer dans le complexe de l'Assemblée nationale et du Sénat, une attaque inédite dans l'histoire du pays indépendant depuis 1963.
Au total, 22 personnes ont été tuées dans la journée, dont 19 à Nairobi, et plus de 300 blessées, a indiqué l'organe kényan de protection des droits humains (KNHRC).
- "Terrain inconnu" -
Jeudi, un peu plus tôt dans la matinée, dans le centre d'affaires de la capitale, où de nombreux commerces sont restés fermés, Moe, employé dans une parfumerie, avait baissé le rideau. "Nous ne savons pas ce qui va se passer (...) Nous ne pouvons pas prendre de risques", déclare-t-il à l'AFP.
"Pourquoi ont-ils dû tuer ces jeunes? Ce projet de loi ne vaut pas la peine que des gens meurent (...) Certaines personnes sont en colère et pourraient vouloir se venger", déplore-t-il devant sa parfumerie, ajoutant: "Nous sommes en terrain inconnu".
Mercredi, une figure du mouvement de contestation, la journaliste et militante Hanifa Adan, a appelé à manifester à nouveau jeudi lors d'une marche blanche "pacifique" à la mémoire des victimes.
Quelques heures plus tard, William Ruto, qui avait la veille affirmé vouloir réprimer fermement "la violence et l'anarchie", a finalement annoncé le retrait du projet de budget, et dit vouloir une concertation nationale avec la jeunesse.
Une annonce aussitôt qualifiée d'"opération de com" par Hanifa Adan, et accueillie avec méfiance par nombre de manifestants, comme Nelly, 26 ans, qui a dit à l'AFP vouloir rejoindre cette marche, jugeant le retrait du projet du budget annoncé par le président "trop faible, trop tardif". "Il aurait pu le faire plus tôt sans que des gens meurent", a-t-elle dit.
"Nous allons marcher pour un meilleur avenir au Kenya", a-t-elle ajouté.
Le président de l'Association médicale kényane, Simon Kigondu, a dit n'avoir jamais vu avant mardi "un tel niveau de violence contre des personnes sans arme".
- Endettement -
Le porte-parole du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a réclamé mercredi que les responsabilités soient "clairement" établies après la mort des manifestants.
Le gouvernement, qui juge les nouvelles taxes nécessaires pour redonner une marge de manœuvre au pays lourdement endetté, avait annoncé le 18 juin retirer la plupart de ces mesures. Mais les manifestants demandaient le retrait intégral du texte.
"Comment gérer ensemble notre situation d'endettement ?", a interrogé William Ruto après avoir capitulé sur le projet de budget.
Il s'est en particulier inquiété d'un trou significatif dans le financement de programmes pour les agriculteurs et les enseignants.
Le gouvernement "devra désormais trouver un moyen de pacifier deux forces opposées : une population prête à recourir à la violence pour protéger ses moyens de subsistance, et une trajectoire macroéconomique qui, en l'absence d'un soutien multilatéral considérable, se dirige vers le précipice", selon une analyse de l'institut Oxford Economics.
La dette publique du pays s'élève à environ 10.000 milliards de shillings (71 milliards d'euros), soit environ 70% du PIB. Le budget 2024-25 prévoyait sur 4.000 milliards de shillings (29 milliards d'euros) de dépenses, un record.
Y.Lewis--RTC