En Catalogne, le boom du cannabis fait flamber la violence entre gangs
La nuit touche à sa fin à Constanti, petite commune de Catalogne. Visage encagoulé, des policiers lourdement armés investissent une rue en apparence tranquille.
Objectif: des plantations de cannabis clandestines, qui alimentent la violence dans cette région prisée des narcotrafiquants.
Sept maisons en brique, occupées illégalement selon la police, sont prises d'assaut. A l'intérieur, les agents équipés de gilets pare-balles découvrent 2.000 plants de marijuana dans des pièces éclairées par de puissantes lampes et aérées par des ventilateurs.
Sous les yeux des voisins alertés par le bruit, cinq personnes sont interpellées. Un hélicoptère et plusieurs drones ont été mobilisés pour survoler la zone, et des employés d'une compagnie d'électricité réquisitionnés pour couper le courant qui approvisionne les maisons.
Ce n'est pas la première fois que la police intervient dans cette commune de 6.000 habitants. "Nous luttons pour éviter qu'on ne devienne une +narcosociété+", insiste auprès de l'AFP Ramon Franquès, chef du commissariat de la ville voisine de Tarragone, alors que les agents s'appliquent à arracher les plants illégaux.
Ces dernières années, le trafic de drogue a en effet bondi en Catalogne: considérée jusque-là comme une simple zone de transit, cette région de huit millions d'habitants située dans le nord-est de l'Espagne est devenue une importante zone de production de cannabis, au grand dam des autorités.
- Violence en augmentation -
Selon l'Agence de l'Union européenne sur les drogues (EUDA), 69% des saisies de résine de cannabis et 47% des saisies d'herbe sur l'année 2022 dans l'UE ont eu lieu en Espagne, ce qui confirme d'après l'agence le "rôle important" joué par ce pays à l'échelle européenne.
En Catalogne, ce sont près de 37 tonnes de cannabis qui avaient été récupérées cette année-là, selon le ministère de l'Intérieur.
Un nombre croissant de groupes criminels "installent des plantations" en Catalogne, en profitant d'une "certaine tolérance sociale" vis-à-vis du cannabis, avant de redistribuer leur marchandise "dans toute l'Europe", confirme dans son dernier rapport d'activité le parquet antidrogue espagnol.
"Le trafic et la culture de la marijuana sont préoccupants, mais c'est surtout l'augmentation de la violence qui y est associée qui nous inquiète", confie Carlos Otamendi, chef de la division des enquêtes criminelles des Mossos d'Esquadra, la police régionale catalane.
Dans la nuit du 23 au 24 juin, deux personnes ont été tuées dans la périphérie de Gérone, dans le nord de la région.
Selon les premiers éléments de l'enquête, ces meurtres auraient été déclenchés par un sujet sans lien avec la drogue, mais l'auteur de la fusillade, en fuite, appartenait à un groupe de narcotrafiquants.
Quelques jours auparavant, la police avait saisi cinq armes à feu, dont deux armes de guerre, en démantelant une organisation accusée d'avoir introduit du haschisch en Catalogne par voie maritime. Une pratique en hausse, qui nourrit l'inquiétude de la population.
- Hausse des saisies d'armes -
"La violence entre gangs n'est pas née avec le trafic de drogue", elle existait déjà avant l'essor du crime organisé, "mais à un tel niveau, avec l'emploi d'armes de guerre, c'est une nouveauté", observe Gerardo Cavero, procureur adjoint du parquet antidrogue de Barcelone.
"C'est un type de violence auquel je ne veux pas dire que nous nous habituons, mais qui se normalise", analyse la journaliste Fàtima Llambrich, auteur du livre "Épidémies de narcosociété".
L'an dernier, 1.171 armes à feu ont été saisies en Catalogne, soit 28% de plus qu'en 2022, quand les vols menés par des groupes criminels dans les plantations de marijuana ont progressé de 78%. Les autorités ont par ailleurs recensé neuf homicides en lien avec le trafic de cannabis, contre un seul en 2022.
Avec un taux d'homicides légèrement inférieur à la moyenne de l'UE, la Catalogne reste malgré tout une société "sûre", selon les autorités, et les chiffres enregistrés restent par exemple très éloignés de ceux de Marseille, dans le Sud de la France, où 49 homicides liés au trafic de drogue ont été dénombrés en 2023 .
"Nous ne sommes pas (...) à Medellin dans les années 80, loin de là", insiste Gerardo Cavero, en référence aux pires années du narcoterrorisme en Colombie. Ce qui ne doit pas empêcher, selon lui, de prendre le sujet au sérieux: "Tout a un début", insiste-t-il.
D.Nelson--RTC