"Impuissants", les supporters du Red Star n'ont pu empêcher la vente de leur club
"Impuissants", les supporters du Red Star n'ont pu empêcher la vente de leur club de football populaire à un fonds d'investissement américain. Le "pouvoir de nuisance" des ultras a peu pesé face aux logiques du foot business.
La vente de ce club historique basé à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), l'un des plus vieux de France, a pris un tour politique avec une tribune publié vendredi dans le Monde, signée par plusieurs personnalités, dont le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon, demandant de "bloquer la vente" de "ce bien commun".
Deux jours plus tard, dimanche, la "colère" et la "déception" n'ont pas disparu des allées du Stade Bauer. Les Ultras ont organisé dans cette antre centenaire la première édition du "Festi'Bauer", "une fête populaire gratuite avec des associations de Saint-Ouen", explique le responsable du groupe des ultras Vincent Chutet-Mezence.
Avant, une gerbe a été déposée devant le domicile du docteur Jean-Claude Bauer pour marquer les 80 ans de la mort du médecin communiste fusillé au Mont Valérien durant l'Occupation.
"C'est cette histoire qu'on veut continuer à préserver", insiste Vincent Chutet-Mezence. "Nous on n'en veut pas de ces gens-là", en référence au fonds américain 777 Partners qui vient de racheter le Red Star, club de National (troisième division).
Le montant s'élèverait à 15 millions d'euros, selon une source proche du club. Aux abords du stade, les graffitis et banderoles sont sans équivoque: "777 OUT", "777 Not welcome".
- "un bras d'honneur" -
"On n'est pas des utopistes, il faut de l'argent pour faire vivre un club. Ce qui nous pose problème c'est la nature de l'investisseur", explique Jérémy, ultra depuis 20 ans. "C'est un fonds américain basé à Miami qui n'en a rien à foutre. Le jour où le club aura un problème, il vendra", s'emporte-t-il.
Pour le président Patrice Haddad, qui conserve son poste, 777 Partners est au contraire "le meilleur choix pour garantir et pérenniser les valeurs" du club, "tout en lui donnant les moyens de s’ouvrir des perspectives inédites".
"On vend à un fonds d'investissement, c'est ce qui se fait de fait de pire dans le foot business", déclare amer Dimitri Manessis, co-auteur d'un livre sur Rino Della Negra, attaquant des années 40, engagé dans la Résistance. "C'est un bras d'honneur à 100 ans histoire", renchérit un autre ultra.
"Impuissants" sur la cession du club, les supporters avaient pourtant "réussi à imposer le dialogue pour la construction du nouveau stade", confie M. Manessis. Sous la pression, le groupe immobilier français Réalités, propriétaire du stade Bauer, avait amendé ses plans d'une rénovation en cours.
Le Red Star, l'un des plus vieux clubs français (1897), a une "histoire très ancrée à gauche, ce qui explique l’opposition", analyse Pierre Rondeau, professeur d'économie, spécialisé dans le football.
Mais les investisseurs voient dans les clubs français "des perspectives de croissance" et rachètent "à bas prix des clubs à forte valorisation financière", indique l'économiste. Et les futurs droits TV estimés à plusieurs centaines de millions d'euros font tourner les têtes.
- projet de loi -
Et le Red Star, c'est "un stade refait à neuf, une adresse du Grand Paris, un vivier de joueurs à revendre", détaille Pierre Rondeau.
Devant ces arguments, difficile pour les supporters de peser dans les décisions. "L'histoire du foot français n'est pas constituée comme en Espagne où le supporter est actionnaire", explique le professeur. "On a un mode de gouvernance hiérarchique: les actionnaires dirigent et le supporter supporte !"
"Dans l'inconscient collectif, l'arrêt de la Super League (ndlr: un projet de championnat européen quasi fermé regroupant quelques-uns des plus grands clubs du continent) a été permis grâce à la fronde des supporters donc c'est une force de motivation", explique M. Rondeau.
Mais les supporters "n'ont qu'un seul pouvoir, celui de nuisance", en faisant grève par exemple. Et si "les résultats suivent, beaucoup finissent par se taire", assure-t-il.
Les ultras du Red Star n'ont pas dit leur dernier mot dans le combat contre leur nouveau propriétaire. "On va tout faire pour qu'il parte le plus rapidement possible", assure Vincent Chutet-Mezence.
Des supporters ont été reçus vendredi à l'Assemblée nationale par la députée communiste Marie-Georges Buffet, ancienne ministre des Sports et Eric Coquerel. L'élu LFI a annoncé dimanche à l'AFP que la Nouvelle union populaire, écologiste et sociale (Nupes) allait réfléchir à une proposition "de loi pour éviter que la situation ne se réitère".
L.Diaz--RTC