La "bataille culturelle", l'obsession de l'extrême droite
Pour l'extrême droite, c'est l'un des rares bénéfices des candidatures rivales de Marine Le Pen et Eric Zemmour: la présidentielle de 2022 peut faire encore progresser les idées du "camp national" dans le débat public, pour amplifier la "bataille culturelle" qui l'obsède.
A eux deux, la candidate du RN et celui de Reconquête! pèsent environ 30% des intentions de vote à deux mois du premier tour, et peuvent d'autant mieux installer dans la campagne leurs thèmes de prédilection, comme la lutte contre l'immigration.
Le 8 janvier, aux Sables-d'Olonne (Vendée) aux côtés d'Eric Zemmour pour défendre une statue de Saint-Michel et les "traditions chrétiennes", Patrick Buisson, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, relevait les "avantages de la multiplicité des candidatures" Zemmour et Le Pen.
Cela va "contribuer aux avancées idéologiques", "on voit bien ce qui est en train de bouger, ce n'est pas favorable à la gauche, au wokisme, au progressisme", se réjouissait-il auprès du site d'extrême droite Boulevard Voltaire.
Les militants d'extrême droite ont depuis bien longtemps repris à leur compte le concept "d'hégémonie culturelle" d'Antonio Gramsci, qu'ils citent à l'envi. La victoire idéologique - en imposant ses idées dans l'espace public - précèderait le succès politique, estiment-ils en s'inspirant du penseur communiste italien.
- "La gauche est partout" -
"Je suis convaincu de la réalité du combat culturel", témoigne Hippolyte Verac, jeune partisan d'Eric Zemmour qui s'emploie à populariser son candidat auprès des élèves de grandes écoles, dont la sienne, l'ESCP.
"Depuis 50 ans, la gauche est partout: à l'école, dans les arts, dans les médias surtout", considère-t-il. "Il y a une prise de conscience et la volonté d'avoir des personnalités de droite par exemple chez les journalistes. Pour cela, il faut être à des postes de décision pour avoir un impact sur la société", estime cet étudiant, qui anime le groupe "les grandes écoles avec Zemmour" .
Eric Zemmour a médiatisé la théorie du "grand remplacement" des populations européennes par des immigrés extra-européens, une thèse complotiste relativement confidentielle jusqu'ici, défendue par l'écrivain sulfureux Renaud Camus et que Marine Le Pen ne reprend pas telle quelle.
Mi-janvier, devant la presse, le candidat Reconquête! se félicitait d'avoir "imposé ses thèmes" dans la campagne, en pesant par exemple sur le discours de la primaire LR, très axé sur l'immigration et la sécurité.
Selon le sociologue Erwan Lecoeur, la stratégie d'Eric Zemmour, c'est de rendre dicible des "choses qu'on ne pouvait pas dire il y a dix ans, comme le grand remplacement" ou l'association entre "l'islam et l'islamisme". Dans la théorie du discours, c'est ce qu'on appelle "l'ouverture de la fenêtre d'Overton" (le nom de l'inventeur de ce concept), expliquait-il sur France Info : intégrer de nouvelles thématiques à ce qui est considéré comme acceptable par l'opinion publique.
- "Métapolitique" -
Plusieurs proches du candidat martèlent depuis des années l'importance de cette "bataille culturelle" et de la "métapolitique", notamment l'ex-mégrétiste Jean-Yves Le Gallou, ancien du Club de l'Horloge qui, dès les années 70 et 80, enchaînait les colloques pour défendre des concepts tels que la "préférence nationale".
Des partisans d'Eric Zemmour se réjouissent aujourd'hui d'obtenir davantage d'écho médiatique, citant la chaîne CNews où chroniquait l'ancien polémiste, ou bien l'émission "Touche pas à mon poste!", sur C8, deux chaînes dont l'actionnaire principal est Vincent Bolloré. L'animateur "Cyril Hanouna dit parfois un peu trop ce qu'il pense, mais lui au moins donne la parole à tout le monde", racontait récemment l'ancien identitaire Damien Rieu à deux jeunes militantes, lors d'un déplacement à Menton (Alpes-Maritimes).
Du côté du RN, Marine Le Pen évoque souvent sa "victoire idéologique" sur l'immigration, de plus en plus présente dans le débat politique. C'est "l'hommage, en quelque sorte, à nos capacités d'analyse et à nos capacités de prévision", jugeait-elle en 2020.
Samedi à Reims, elle a mis en avant le soutien du Premier ministre hongrois ultraconservateur Viktor Orban, choyé également par son rival Eric Zemmour.
Orban a salué chez la candidate RN "un grand guerrier expérimenté" et redit qu'il ne voulait "pas laisser les militants LGBT+ entrer dans les écoles". Une thématique que convoque régulièrement Eric Zemmour lui aussi.
L.Diaz--RTC